Poème (Michel Houellebecq / Breat Easton Ellis )

Le texte de Poème est un montage réalisé à partir d'extraits de Lunar Park, de Breat Easton Ellis et de La Possibilité d'une Ile, de Michel Houellebecq

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Page 1 (gauche)
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Un matin, juste après mon réveil, je me sentis sans raison perceptible moins oppressé. Après quelques minutes de marche j’arrivai en vue d’un lac largement plus grand que les autres, dont, pour la première fois, je ne parvenais pas à distinguer l’autre rive. Son eau, aussi, était légèrement plus salée.

C’était donc cela que les hommes appelaient la mer
Tu regardais les cendres continuer à s’élever et à danser à travers une multitude d’images du passé, replongeant et remontant dans l’air

J’étais indélivré.

Et puis les cendres ont tourbillonné dans un couloir
et derrière les portes se trouvaient les enfants,
et les cendres ont croisé des ballons dans l’air
Plus tard je marchai,
réglant mon pas sur le mouvement des vagues
Je marchai des journées entières, sans ressentir aucune fatigue

Et les cendres tachaient les polaroids de ta mère et de ton père, jeunes parents, et tous les endroits où nous sommes allés en famille et la petite piscine continuait à faire de la vapeur derrière eux

Au troisième jour j’aperçus des allées de pierre noire
qui s’enfonçaient dans la mer et se perdaient dans la distance
L’idée de les emprunter m’abandonna très vite

Et les cendres ont recouvert les Lego qui étaient étalés devant toi et le matin il y avait ta mère qui faisait au revoir de la main
Et elles ont atterri sur le rivage à Hawaï dans une photo des montagnes
Et elles se sont cachées à l’intérieur des pièces de la maison
Il me restait peut être soixante ans à vivre

Et derrière la rangée des portraits de famille,
dérivant sur tous les rendez-vous annulés et les avions ratés, les désirs non exaucés et les déceptions confirmées, et très vite elles ont recouvert tous les miroirs dans toutes les pièces où nous vivions

Plus de vingt mille journées qui seraient identiques

Et les images ont commencé à devenir plus petites

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Page 2 (droite)
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Et je pouvais voir la petite ville où il était né

Les écueils de la vie étaient loin derrière moi
Alors que les cendres passaient au dessus des montagnes
Se mélangeant à la neige qui tombait là
J’étais maintenant entré dans un espace paisible

Et les cendres se sont mises à déteindre sur les visages
Et ont recouvert le visage de mon fils qui rêvait de la lune
Et dans son rêve elles en assombrissaient la surface

Je me baignais longtemps
Sous le soleil comme sous la lumière des étoiles
Les cendres s’effondraient sur tout et suivaient les répercussions
Et je ne ressentais rien d’autre qu’une légère sensation obscure Et nutritive

Après être passées en les froissant sur les pages de ce livre
Se répandant sur les mots et en créant de nouveaux
Elles ont commencé à sortir du texte
Se perdant quelque part hors de ma portée

Et puis elles ont disparu
Le bonheur n’était pas un horizon possible
Le monde avait trahi

Et le soleil a changé de position
Mon corps m’appartenait pour un bref laps de temps
Et le monde a oscillé
Je n’atteindrai jamais l’objectif assigné
Et puis il s’est passé autre chose

Le futur était vide
Il était la montagne

Et même si tout était fini
Mes rêves étaient peuplés de présences émotives

La mer a atteint le bord d’une terre où une famille, en silhouette, nous regardait jusqu’à ce que le brouillard les dissimule

J’étais, je n’étais plus. La vie était réelle.